RÉALITÉ (PRINCIPE DE)

RÉALITÉ (PRINCIPE DE)
RÉALITÉ (PRINCIPE DE)

RÉALITÉ PRINCIPE DE

Que la réalité doive constituer un «principe», telle est la conclusion nécessaire à laquelle nous conduit toute étude de la folie. Mais il s’agit moins ici d’un principe théorique établissant au sens kantien la possibilité a priori de l’intuition et de la liaison des phénomènes que d’un principe pratique, en vertu duquel le sujet se détermine à pénétrer consciemment la «réalité», mouvement douloureux, dans la mesure où toute prise de conscience du réel a pour nécessaire corollaire la mise en évidence des limites individuelles.

Certes, la découverte du rôle principal de la réalité ne saurait être que progressive; et seule une «dure expérience vitale» conduit l’homme à renoncer à ce mode d’accomplissement immédiat du désir qu’il découvre sur le mode onirique, fantasmatique, voire hallucinatoire. L’univers jusqu’alors doté des simples qualités de plaisir et de déplaisir se constitue en «réalité» au moment où il apparaît comme ce qui est fondamentalement indifférent au sujet.

Pourtant, comme seul le désir peut pousser au travail notre appareil psychique, toute l’activité humaine devrait tendre à s’exercer dans le sens du rétablissement du principe de plaisir; et la prise de conscience de l’obstacle que constitue la réalité pourrait contraindre seulement à un détour qui permettrait au principe de plaisir de triompher en dernier ressort.

Ainsi Freud affirme, en 1911, que le remplacement du principe de plaisir par le principe de réalité signifie la «garantie» du principe de plaisir, et non sa destruction. De même, comme il l’explique dans l’Esquisse d’une psychologie scientifique , le principe d’inertie, bouleversé par l’accroissement des excitations internes au sein de l’organisme, cède la place au principe de constance qui vient seulement le modifier. Naît alors une «fonction secondaire» imposée par les «exigences de la vie» et suivant laquelle le système neuronique, renonçant à sa tendance originelle à la décharge immédiate de l’excitation, apprend à supporter un certain degré de tension. En ce sens, le principe de réalité peut être qualifié de principe de tolérance.

Comment cependant comprendre son assimilation au principe de constance? S’agit-il ici d’une simple adaptation, due à une autorégulation du système au sens de Cannon, ou d’une «conservation de l’énergie», suivant le principe de Mayer, ou encore d’une égalisation des différences énergétiques, au sein d’un système clos, suivant le deuxième principe de la thermodynamique? Il semble que ce dernier sens intéresse plus particulièrement le principe de réalité, l’entropie signifiant un accroissement des déperditions, puisque l’énergie qui ne se transforme pas en travail devient inutilisable. Le «travail» consiste proprement à lier cette énergie qui demeurait «libre» au niveau des processus primaires, de telle sorte que tout excès d’apport énergétique se compense de lui-même. La «pensée» joue alors un rôle primordial, puisqu’elle n’a plus seulement pour fonction la simple «représentation des objets» comme c’était le cas lorsque l’appareil psychique était réglé par le seul principe de plaisir, mais qu’elle a pour tâche d’opérer la «liaison» entre représentation de mots et représentation d’objets. Procédant par tâtonnement, elle permet, grâce à l’attention et à la mémoire, la suspension de la décharge motrice et sa transformation en action.

Mais les difficultés subsistent; et l’on peut se demander si, d’une part, le principe de réalité a vraiment la même origine que le principe de plaisir, si, d’autre part, la pensée constitue un simple «substitut du désir hallucinatoire» et si enfin l’opération humaine se réduit à une modification de l’acte réflexe.

L’insuffisance de cette première conception est mesurée par Freud, lorsque, parlant d’un «au-delà du principe de plaisir», il montre comment ce qu’il appelait, au niveau de l’interprétation des rêves, la «première expérience de la satisfaction» constitue l’objet du désir pour autant que le sujet désirant conserve l’objet qui était précisément celui de l’être du besoin. Si le plaisir naît de la répétition, tout le problème ici consiste à articuler le désir au plaisir, pour définir dans quelle mesure la compulsion de répétition met en œuvre un principe de reconnaissance étranger à toute motivation hédonique. Le problème de l’identité de l’être apparaît alors plus crucial au sujet du désir que la question d’une hodologie de la jouissance. Entre le réflexe et l’action, l’hallucination et la pensée, le plaisir et la réalité se tient cet «abîme» que constitue la découverte de l’autre.

C’est en ce sens qu’on peut assimiler le réel au traumatisme, et la constance à l’impossible. La prise de conscience du réel constitue en effet le premier et le plus durable des chocs; comme tel, un choc révèle que la réalité est ce que le sujet ne «peut» pas être, mais qu’il peut seulement cerner. Le réel est ainsi un possible impossible, puisqu’il constitue ce possible dont précisément le sujet conçoit qu’il lui manque. Et sans doute le désir vise-t-il, antérieurement au plaisir de la différenciation, l’indifférence de la constance. Toute tension entre l’individu et le milieu se résoudrait par un retour à l’état inorganique, dans lequel il n’y aurait plus ni élasticité organique, ni représentant psychique de celle-ci, si bien que serait aboli l’écart générateur de conflit qui résulte du dédoublement lié à la conscience de soi.

En ce sens, le dualisme des principes renvoie bien au dualisme pulsionnel. Du côté de la vie se trouvent la réalité productrice, effective et efficace, le plaisir défini comme mouvement vers la résolution des tensions et l’idée de la mort comme stimulatrice des forces humaines et facteur d’anthropogenèse. Mais le but une fois atteint contredirait le désir en le rendant inutile. La mort réelle rend inefficace l’assomption du risque mortifère; la réalité engloutit le sujet qui s’efforce de la «rejeter» dans la contemplation; et, le plaisir terminal une fois produit, le sujet dépourvu d’excitation se trouve ramené de proche en proche à l’état inorganique.

Ainsi le plaisir résiste à la réalité, dans la mesure où il est incomplet; car, si la satisfaction totale était possible, la mort serait victorieuse, et il faudrait que le temps s’arrête. Mais la réalité l’emporte finalement sur le plaisir, toute jouissance comportant la prise de conscience de son caractère vulnérable et insuffisant: le plaisir est lié à l’autre, et je n’en suis pas maître. Voilà ce que nous signifie le principe de réalité, comme principe de tolérance de l’altérité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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